Leçon d'amour et de bonheur

February 6th, 2014

Myanmar, 2ème partie.

Alors que nous attendons notre bus sur les bords du Lac Inle, nous voyons débarquer en scooter le propriétaire de notre guesthouse. Il semble ravi de nous trouver, et nous tend un paquet de linge en nous disant : « Vous avez oublié votre lessive à l’hôtel ! J’avais peur que vous soyez déjà partis ! ». Manque de bol pour lui, ce n’est pas notre lessive, nous n’avons rien oublié et il a fait le trajet pour rien. Une autre preuve de la gentillesse locale ! La même chose nous était arrivée deux jours plus tôt, où le patron d’un restaurant avait enfourché sa moto pour nous rattraper deux rues plus loin, et nous restituer les bibelots que nous avions oubliés sur une chaise. Moi qui ai une jolie tendance à égarer mes affaires, ce pays est vraiment fait pour moi !

Depuis un an que l’on parcourt le globe, on peut dire que nous sommes rodés sur les transports low-cost et les trajets peu confortables. Cependant, le Myanmar nous prouve que la bonne vieille loi de Murphy se vérifie : tout peut toujours être pire. Passons les sièges défoncés, la piste en terre et les amortisseurs qui n’ont pas été révisés depuis 1950. Passons la clim réglée sur 5°C, obligeant tous les passagers à porter une doudoune et un bonnet. Passons le conducteur égoïste qui estime que si il ne dort pas de la nuit, il n’y a pas de raison pour que nous dormions, et qui s’amuse à faire le DJ pendant 8h. Tout cela, on commençait y être habitué. Alors pour élever la pénibilité des trajets à un niveau indétrônable, nous découvrons ici un code de la route inédit. Jusque dans les années 1980, le Myanmar avait pour usage de conduire à gauche, héritage de l’empire britannique. Du jour au lendemain, le général-dictateur au pouvoir décida sur un coup de tête d’imposer la conduite à droite, histoire de marquer une rupture franche avec le passé colonial du pays et de lui conférer une image de nation indépendante. En contrepartie, il ne décida naturellement pas d’allouer le budget nécessaire au remplacement des milliers de véhicules birmans équipés d’un volant à droite. Même après 30 ans de pratique, ces règles de circulation donnent encore lieu à des situations parfois cocasses, et parfois carrément dangereuses. Nous sommes par exemple toujours contraints de monter et de descendre des bus du côté de la chaussée. De même que nous aidons régulièrement nos chauffeurs de taxi dans leurs dépassements, la visibilité étant, en toute non-logique, meilleure depuis la place du mort. D’ailleurs, sur les rares quatre-voies du pays, les Birmans reprennent leurs habitudes, utilisant la voie de gauche pour les véhicules lents et celle de droite pour dépasser.

Mais revenons sur le trajet qui nous emmène vers Bagan et ses mille temples. Assis côté allée, Roro se fait un copain durant la nuit : un jeune Birman qui monte en cours de route et qui se calle sur le strapontin attenant, le bus étant plein à craquer. Comme c’est souvent le cas ici, il ne comprend pas que nous ne parlons pas sa langue. Il raconte toute sa vie à mon barbu et lui tient littéralement le crachoir pendant une bonne heure. En effet, il lui colle une noix de bétel dans la bouche, en symbole d’amitié, et insiste pour lui tenir le petit sachet plastique dans lequel Roro pourra déverser à loisir sa bave toute rouge. Classe ! Puis, fatigué de parler, il s’endormira simplement sur l’épaule de Roro, manifestement ravi. Notre nouveau pote descendra du bus avant nous et nous laissera même son numéro de téléphone et son adresse, au cas où on reviendrait dans le coin.

Nous arrivons à Bagan à 4h du matin, pas très pratique pour trouver un établissement où passer la nuit. La seule guesthouse dans nos cordes budgétaires affiche complet, mais le patron nous propose aimablement d’attendre 9h, heure à laquelle il aura de la disponibilité pour nous. D’ici là, il nous fabrique un lit de fortune sur la terrasse de l’hôtel, avec deux bancs et deux couvertures, et nous pouvons terminer notre nuit à l’arrache.

Les jours suivants, nous revêtons nos costumes de supers-warriors (que nous n’avions jamais vraiment quitté) pour aller jouer à Indiana Jones. Le schéma reste le même : location de vélos et réveil à 5h du matin pour aller admirer les temples aux premiers rayons du soleil. Spectacle grandiose, agrémenté chaque matin de dizaines de montgolfières qui évoluent gracieusement à travers la brume matinale, emmenant les touristes contempler Bagan depuis le ciel (pour la coquette somme de 300$ par personne, ou comment dépenser sur un vol de 45 minutes la quasi-totalité de notre budget pour ce pays !).

La région de Bagan peut s’apparenter à celle d’Angkor. Ancienne capitale d’un royaume disparu, elle compte sur un périmètre restreint un nombre remarquable de temples, de pagodes, de mausolées et de stupas, ces énormes cloches qui renferment des reliques de Buddha. Pris indépendamment les uns des autres, les temples d’Angkor gardent notre préférence. En revanche, Bagan remporte le premier prix dans la catégorie « vue d’ensemble ». Il suffit d’escalader l’un des temples et de prendre de la hauteur pour découvrir les silhouettes de ses 2800 homologues, éparpillés dans la plaine environnante. Alors que chaque sanctuaire Angkorien était caché dans la forêt comme un secret, à Bagan, ils nous sautent aux yeux de tous les côtés, à tel point qu’on ne sait plus où donner de la tête. Les deux zones datent de la même époque, mais les architectures sont cependant bien différentes. Et comme nous sommes devenus de vrais pros en archéologie, on le remarque immédiatement ! Point de place à l’hindouisme, ici les temples sont tous bouddhiques. Tous construits de manière cruciforme, chaque extrémité abrite un Buddha plus ou moins imposant. Il est impressionnant de noter que malgré le très grand nombre de temples, et donc de Buddhas, nous rencontrons des fidèles devant toutes les statues, même celles des temples les plus reculés ou de ceux qui semblent à l’abandon.

Quand, à force de pédaler, le manque d’énergie se fait sentir, nous nous arrêtons faire le plein dans une des nombreuses cantines qui bordent la route. La gastronomie birmane pourrait se décrire à travers des adages simples et remplis de sens : « Le gras, c’est la vie » ou « Plus c’est frit, plus c’est bon »… Tout baigne dans l’huile, l’ingrédient primordial qui trône en bidon de 5 litres dans toutes les cuisines. Au restaurant, le plat que l’on commande ne représente qu’une toute petite partie du repas, et n’est d’ailleurs servi qu’en toute petite portion, dans un tout petit plat à part. Il est accompagné d’une soupe aigre avec de gros yeux de gras et des morceaux dont on ne préfère pas connaître la provenance, de légumes frits, d’autres légumes crus à tremper dans diverses sauces toutes plus grasses les unes que les autres et d’une grande gamelle de riz, pour éponger. La bonne chère tient une place prépondérante dans la vie des Birmans, qui passent leurs journées à grignoter. Partout, on rencontre, en plus des restaurants et des stands de street-food, de nombreuses « maisons de thé », abondamment fréquentées du matin au soir. C’est presque aussi chic que nos salons de thé à la française : tables et chaises en plastique, rouleau de papier toilette en guise de serviettes et des voisins qui vous crachent leur salive au bétel à 2 centimètres des orteils. Le thé coule à volonté et gratuitement, infusé dans d’élégantes thermos en plastique multicolores disposées sur toutes les tables. Côté en-cas, il y en a pour tous les goûts : samosas aux légumes, beignets au sucre, pancakes à la banane, nouilles sautées, crêpes aux pois chiche… Seul point commun : tout est frit, frit et re-frit. Les maisons de thé sont des lieux populaires bien agréables. On y mange pour vraiment pas cher et l’ambiance est très sympa. Les locaux y viennent pour discuter, regarder la télé ou faire discrètement une offrande au portrait d’Aung San Su Kyi, récurrent dans chaque établissement. Elément central de la vie birmane, il parait que d’importantes discussions se tiennent dans ces lieux, allègrement espionnés par le gouvernement. On a eu beau regarder par-dessus notre épaule et faire attention tout autour de nous, c’est quelque chose qu’on ne ressent absolument pas en tant que touriste.

Après quatre jours à arpenter les temples de Bagan en long, en large et en travers, nous reprenons notre route. Pour couper en deux le long trajet jusqu’à Yangon, d’où nous prendrons notre avion pour la Thaïlande, nous nous arrêtons à mi-chemin dans la petite ville de Pyay. Très peu touristique, nous n’y croisons aucun blanc. Et j’imagine que c’est également le cas des habitants, qui paraissent tous bien surpris de nous voir ici.

L’un des nombreux temples de la ville abrite un Buddha unique en son genre, affublé d’une paire de lunettes géante. Il dispose même d’une monture de rechange, dorée à la feuille, pour les jours de fête. Célèbre dans tout le Myanmar, il aurait le pouvoir de guérir les problèmes de vue, et voit donc accourir tous les binoclards du pays ! Les fidèles sont censés renvoyer leurs lunettes si leurs prières ont été exaucées et vu le nombre de verres sur place, je ne manque pas de faire ma petite obole, qui sera toujours moins chère et moins douloureuse que le laser. A voir en rentrant si je peux la faire prendre en charge par ma mutuelle…

Très amusé par la barbe de Roro, le moine-gardien du temple s’approche et vient discuter avec nous. Alors qu’habituellement, c’est aux croyants de faire l’aumône aux moines et de remplir de nourriture leur panier, celui-ci insiste pour me remplir mon sac à main de petits fruits rouges terriblement acides, mais que j’accepte avec force sourire et politesse. C’est d’ailleurs vraiment agréable de pouvoir parler avec les moines, dans ce pays. Partout en Asie, les moines bouddhistes ont l’interdiction d’avoir tout contact physique avec une femme. Si je veux leur faire une offrande, il faut que je la place à un endroit où ils pourront la prendre, et surtout pas leur donner de main à main, des fois que ma peau impure de femme puisse toucher la leur… Certains moines rencontrés au Laos ou au Cambodge faisaient parfois du zèle, allant jusqu’à changer de trottoir pour éviter un contact cutané fortuit ou en ne répondant simplement pas à mes salutations. Alors qu’au Myanmar, en gardant une distance raisonnable et tout le respect qui va avec, je n’ai aucun souci pour discuter et rire avec eux, comme un être humain normal, quoi ! Vraiment trop sympas, ces Birmans !

Après 3 semaines à faire le plein d’ondes positives et de bonne humeur, nous atteignons Yangon, l’ancienne capitale, une ville surpeuplée, bruyante, vraiment très sale et d’où nous sommes contents de décoller rapidement. Nous retrouvons Bangkok, qui nous semble bien proprette après ça, alors qu’elle nous avait fait une première impression plutôt cra-cra. Tout est toujours une question de rapports !

Le compte à rebours retour est désormais enclenché. Pour terminer tout en douceur, nous nous prenons quinze jours de vacances sur les îles du Sud de la Thaïlande. Finis les treks, fini le vélo, finis les levers aux aurores… On va essayer de se tenir au programme suivant : ne rien faire d’autre que peaufiner notre bronzage, avant de rentrer à la maison.

A bientôt, pour la suite (et la fin) de nos aventures !

Les photos de cet article se trouvent dans l’album "Myanmar", aux rubriques "Chauk" (pour les photos des temples de Bagan) et "Pyay".

 


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4 réponses

  1. C'est trop injuste que cela se termine
    c'est triste, bouhhhhh, ouinnnnnnnn, j'veux pas rentrerrrrrrrrrrrrrr
    bonne saint-valentin
    Astuce: si vous tentez le passage de drogue dans vos bagages, vous pourrez prolonger vos vacances ;-)
  2. Pas lu tous les posts ni dans l ordre, mais tjrs agreable sur le fond et la forme, surtout apres avoir fini une traduction russe sur le brevet d un liant de bitume-styrène et juste avant d aller dodoter. A bientot les Loulous et bronzez bien!
  3. Dommage que vos récits se terminent....je m'y habituais bien moi :-))) Au plaisir de vous revoir très vite ! bizzz, P.
  4. Coucou,
    Toujours aussi passionnant de vous lire. Mais quand même un étonnement : vous auriez pu préparer vos vacances un peu plus sérieusement AVANT de partir et dénicher un endroit sympa à votre convenance. Avec Internet, c'est vraiment facile et Google Earth vous permet de faire des repérages comme si vous y étiez. Vous auriez économisé presqu'un an de recherches aux 4 coins du monde pour aller directement sur votre lieu de vacances et vous auriez même pu les prolonger. Car 15 jours de vacances, c'est un peu court, je trouve. Enfin, la prochaine fois que vous voudrez partir en vacances, vous saurez comment faire. Bises et à bien vite le 1er mars. Gérard

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